LIBERTINAGE DANS LES COUVENTS



Il est facile de comprendre pourquoi les quelques 35 monastères que comptait Venise au 17ème siècle étaient souvent des lieux de débauche si l'on analyse les raisons qui poussaient les jeunes filles à s'y retrouver.
Ou bien, elles avaient été enfermées là dès leur enfance par des parents qui ne voulaient pas s'occuper d'elles, ou bien, issues de familles nobles, elles avaient été contraintes à prendre le voile pour préserver intact l'héritage du garçon aîné de la famille.
Ces jeune filles devenaient donc sœurs sans aucune vocation. Les autorités ecclésiastiques bien conscientes de la violation subie par ces " malmonacate " (*) les dispensaient de respecter certaines normes jugées trop sévères, leur accordaient même de longs séjours à passer en famille.
(*) malmaritate = mal mariées
malmonacate = mal entrées en religion

Les chroniques du 16ème, 17ème et 18ème siècles sont remplies de récits advenus à l'intérieur des couvents féminins : révoltes, effractions, fugues, fornications, fréquentations des hommes, rapts, religieuses vêtues en femmes du monde faisant le tour de Venise, festins dans les parloirs, amours, poésies, péchés, étrangers de haut rang curieux de vivre des moments de luxure avec une religieuse, chasseurs de jeunes nonnes…Les religieuses étaient montrées du doigt comme des prostituées et les couvents comme des bordels.
Il suffit pour s'en convaincre de parcourir les " Journaux " de Girolamo Priuli, où il parle de la colère divine provoquée par les mauvaises coutumes de la cité. A propos des religieuses, il écrit : " Il nous faut même décrire un autre très grave, indicible péché, celui qui règne grandement dans la cité vénitienne, dans les monastères des religieuses qui ont la réputation de lupanars, de bordels publics ".

Grand était le libertinage chez les religieuses, lesquelles au début vivaient sans être cloîtrées, si bien qu'elles pouvaient accueillir toute personne qu'elles désiraient dans l'enceinte sacrée.
Parfois, sous le prétexte d'une santé fragile, elles se faisaient accorder le permis de séjourner pour plusieurs semaines dans leurs familles. Mais en réalité, elles partaient pour un séjour à la campagne avec leurs amants sur la terre ferme. Sanuto raconte qu'en 1509 les sœurs de la Celestia admirent dans leur couvent une bande de jeunes patriciens, avec lesquels elles dansèrent toute une nuit au son des fifres et des trompettes.
La clôture ayant été instituée, les scandales ne cessèrent pas pour autant. Il n'était pas rare que les religieuses, grâce à des entremetteuses habiles, rejoignent le but désiré.
On peut lire que des hommes furent retrouvés cachés dans leurs cellules, que des personnes masquées venaient les divertir dans leur parloir, que de jeune gens venaient faire banquet pendant qu'elles les regardaient à travers les grilles, qu'elles y prenaient même part, les jeunes hommes leur passant à travers les grilles des pailles adéquates leur permettant de boire dans leurs verres.
Les ordonnances du Conseil des Dix, affichées à Saint Marco et au marché du Rialto, valaient pour les visiteurs des 33 monastères féminins présents dans la cité et rappelaient que seuls les parents, frères, sœurs et oncles pouvaient avoir des entretiens avec les religieuses. La discipline interne était assez sévère.

Une célèbre toile du peintre Francesco Guardi (1712-93), " Le parloir des religieuses de San Zaccaria " nous restitue parfaitement l'ambiance qui pouvait régner dans le couvent.



LES MUNEGHINI

Les chasseurs de nonnes, appelés " muneghini " avaient imaginé un moyen ingénieux d'offrir leur portrait à leur sœur préférée : ils se faisaient peindre vêtus en saints. Et qui pouvait réprimander la passionnée en adoration devant l'image de Saint François ou Saint Marc ? Se moquant des amendes et de la prison s'ils étaient surpris, ils s'introduisaient dans les couvents par quelques portes dérobées.

LA CHEBA

Il arrivait que des prêtres eux-mêmes soient surpris. La punition était alors la " cheba ". On les enfermaient dans une cage (cheba) de bois, équipée de fers, accrochée à mi-hauteur du campanile de Saint Marc, où ils étaient exposés jour et nuit, aux intempéries, pour toute la vie ou pour un temps fixé, recevant leur nourriture quotidienne par l'intermédiaire d'une cordelette qui partait du bas.
LES HABITS DES RELIGIEUSES : plus nymphes que nonnes


Quant aux vêtements, il ne pouvait se voir chose plus singulière et plus agréable que la diversité des cinq ou six habits que revêtaient les religieuses vénitiennes.Elles n'avaient pour voile et jugulaire qu'un seul petit morceau de dentelle froncée qui leur tombait sur le front, et un petit bonnet de toile fine qui laissait échapper les boucles de leurs cheveux. Les extrémités étaient liées sous la poitrine. Dans la plupart des couvents, l'habit était en peau de chèvre blanche, maintenant fermement le buste bien. Orné du haut en bas, il faisait ressortir leur poitrine pratiquement toute découverte. Les manches des chemises étaient en toile très fine et longues, liées sous le coudes avec des rubans. Ajouter à cela que leur lingerie très soignée étaient décorée de fleurs là où les plus galantes femmes s'ornent pour le plaisir, et l'on comprendra mieux que Filippo Pizzichi écrivait que leurs vêtements étaient plus ceux de nymphes que de nonnes.


COUVENT DE L'ILE SANT'ANGELO

Les transgressions les plus fortes advinrent dans le couvent des bénédictines de l'île de Sant'Angelo où avait pris le voile la fine fleur des jeunes nobles vénitiennes. Il se situait derrière la Giudecca et c'était le lieu de rencontres érotiques non seulement pour la jeunesse aristocratique mais aussi pour de nombreux fonctionnaires publics à l'apparence très intègre. A tel point, qu'entre 1401 et 1487, on recensa 52 délits sexuels, quatre d'entre eux ayant entraîné la naissance d'enfants.
Tout commence par la faute du notaire d'Etat Marco Bono, tourmenté de ne pas avoir l'exclusivité des faveurs de la sœur Filippa Sanuto qui haussait les épaules devant ses scènes de jalousie. Déchaînée, Filippa, profitant du Carnaval, avait réussi à faire cacher dans le monastère le jeune noble Andre Valier qui attendait dans un coin qu'elle ait fini ses affaires avec le notaire. Bono repart en gondole, mais arrivé dans la cité, il est pris de doute et demande qu'on le ramène au couvent. Arrivé à l'improviste dans la cellule de la sœur, il la surprend dans des attitudes qui ne laissent aucun doute sur ses rapports avec son nouvel amant. Hors de lui, il dégaine l'épée menaçant de les transpercer tous les deux. Filipa et Andrea se mettent à crier. Exaspéré le notaire ouvre la porte d'une autre cellule où la sœur de Filippa était elle même en train de se distraire avec un ami. Et ce n'est pas tout, on découvre que le monastère ressemble davantage à un bordel. Tout Venise est mis au courant et les bavardages vont bon train. On ordonna alors une enquête officielle, de laquelle il ressort que le couvent est un carrefour fréquenté par la jeunesse dorée
Fou de rage, Marco Bono met ainsi à la lumière ses propres aventures amoureuses sur les îles au milieu de joyeuses brigades ecclésiastiques.
La douce vie qui se menait dans les couvents était certainement connue déjà auparavant du gouvernement mais celui-ci avait pensé bien faire de ne pas intervenir jusque là, tant que le trafic ne sortait pas de l'île Sant'Angelo. L'enquête leva le voile sur les naissances advenues au couvent, révélant l'abandon des enfants auprès des sœurs comme s'ils avaient été abandonnés par des parents ne pouvant subvenir à leurs besoins. Mais elle n'attaqua pas le " charisme " de la sœur Filippa, même si deux mois après les faits, elle est poursuivie et frappée à coups de bâtons par le frère d'Andrea Valier, qui entre temps, avait fini en prison.
Sœur Clara se livra elle aussi à des excès luxurieux mais cela ne l'empêcha pas de devenir supérieure du couvent. Elle dut affronter le problème de Valeria Valier qui ne savait pas au quel de ses trois amants attribuer la paternité de son enfant. Sa plus grande colère fut dirigée en 1439 contre sœur Lisetta de Buora qui organisait dans l'indifférence générale des orgies à quatre sur l'île avec la complicité de Valeria Valier, Margarita jeune mineure confiée aux sœurs par sa famille et Marco de Buora, un jeune gaillard de sa famille. " La plus infâme des entremetteuses " diront les Avogadori " parce que sous le regard de Lisetta, elle livra la virginité de Margarita à Marco ". Les nuits suivantes, il fit de nombreux retours sur l'île pour satisfaire ses désirs. L'insatiable fut condamné à un an de prison et dut verser deux cent mille lires à Margarita. Il ne cessa pas pour autant de fréquenter les couvents et fut plus tard surpris avec sœur Camilla Morosini à l'intérieur de S Biasio. Il eut l'aplomb de déclarer qu'il ne s'était pas aperçu que c'était une religieuse. Huit ans plus tard, on retrouvait à Sant'Angelo Lisetta : elle était devenue prostituée de luxe, on faisait la queue pour bénéficier de ses faveurs.

LE MONASTERE DES CONVERTITE

Giovan Pietro di Valmonica était le recteur et père spirituel du monastère des Convertite à la Giudecca. Avec l'accord (tacite) des autorités religieuses, il régnait comme un sultan sur les quelques quatre cents religieuses, la plupart jeunes et belle, du couvent, comme l'écrivit le nonce apostolique de Venise Ippolito Capilupi dans une lettre au cardinal Carlo Borromeo en novembre 1551.
En confession, il se mettait à faire la cour aux pénitentes, leur promettant cadeaux et faveurs si elles ne faisaient pas les farouches, tandis qu'elles se voyaient refuser les sacrements si elles hésitaient. Aux têtues récalcitrantes, il faisait ouvrir les portes du cachot, les torturant pour mieux les dompter.
En été, il ordonnait que les plus belles et les plus " en forme " se baignent nues auprès de barques où il en choisissait une chaque jour. Ces diaboliques luxures ne lui suffisaient pas. Il se faisait remettre le bénéfice de toutes les quêtes, obligeaient les sœurs à broder des nappes et à faire des travaux d'aiguille, dont lui seul encaissait les gains pour se procurer les meilleurs vins et mets. Et si quelqu'une restait enceinte : pas de problème, il la faisait avorter. Il se donna ainsi la belle vie pendant 19 ans, sans que les autorités civiles ou religieuses aillent contrôler si les commérages qui courraient en ville sur lui, avaient quelque fondement.
Durant son procès, il admit seulement avoir eu des rapports avec 20 religieuse, dégageant la mère supérieure de toute complicité. On ne le crut pas puisque la supérieure fut elle même condamnée à la prison jusqu'à la fin de sa vie.
Lui, emmené entre les deux colonnes de la piazzetta le 10 novembre 1561, eut la tête tranchée devant une grande foule devant laquelle il eut des paroles de repentir.


CORRUPTION AU MONASTERE DE SAN LORENZO

La corruption presque générale régnait entre les cloîtres mais il semble cependant que la palme revint au couvent de San Lorenzo. Le 16 juin 1360, nous trouvons condamné à un an de prison et cent lires d'amende Marco Boccaso, Zanin Baseggio et Giuseppe de Marcadello pour avoir forniqué, le premier avec une certaine Ruzzini, le second Beriola Contarini et le troisième avec Orsola Acotanto, religieuses dans ce monastère. Peu après, le 22 juillet 1360, furent publiquement donner des coups de fouet à plusieurs femmes : Maddalena de Bologne, Margarita de Padoue, Lucia, pour avoir servi d'entremetteuses et avoir porté, lettres et messages amoureux à des religieuses.
Le 25 mars 1385, Nicolò Giustinian, médecin, fut condamné à deux ans et trois mois de prison avec trois cents lires d'amende parce qu'il était entré avec de fausses clés plusieurs fois dans le monastère pour y rejoindre soeur Fiordelise Gradenigo dont il eut un fils.
Le 21 juin 1385, trois ans de prison furent infligés à Marco Gritti qui, à des fins malhonnêtes, était entré dans le même monastère.
Quelques siècles plus tard, rien n'avait changé.
Dans une enquête de juillet 1653, la mère supérieure du couvent de San Lorenzo est impliquée. Les " Inspecteurs des Monastères ", trois magistrats chargés depuis 1521 de surveiller la discipline interne des couvents, l'interrogent sur certaines " matinées musicales données dans les lieux, où de nombreuses personnes chanteraient des sur des paroles scandaleuses ".
Semblant tomber des nues, la supérieure finit par admettre les faits mais déclara qu'elle ignorait absolument qui étaient les organisateurs et exclut, pour les avoir écouter, que les paroles des musiques ne soient adaptées à de chastes oreilles. Mais les Inspecteurs ne se contentèrent pas des déclarations de la religieuse et convoquèrent pour témoigner les organisateurs de ces sérénades.
Tous nièrent, sous serment, l'exécution de tels chants licencieux, soutenant, au contraire, que dans le canal voisin de Santa Maria Formosa, où un cortège de gondoles remplies d'ambassadeurs et de sénateurs étaient bloquées, on leur avait demandé de commencer là leur concert pour faire patienter ces messieurs. " Ce qui se chante dans un canal, peut se chanter à l'église" affirma un musicien, tandis qu'un autre ajouta : " Il n'est pas imaginable qu'on ait chanté des choses malhonnêtes devant l'ambassadeur de France, accompagné de demoiselles ". Donnant main forte, un troisième dit : " On ne chanta jamais que d'honnêtes chants, comme il se donne dans les chambres des femmes du monde "
Dans le bénéfice du doute, on acquitta tout le monde : musiciens et le commanditaire qui se révéla être Zuani-Grimani-Calergi.
Le riche centre religieux qui, au 17ème siècle, accueillait une centaine de " mères de toute sorte " fit se scandaliser, en 1664, le prélat Filippo Pizzichi, accompagnant le prince héréditaire de Toscane, Cosimo di Medici. Dans ses chroniques de voyages il dépeint quelques jeunes et fascinantes religieuses. Elles appartenaient à de nobles familles de la Sérénissime et portait " un habit blanc à la française ", invitant au péché et " leur front n'était ceint que d'un petit voile duquel s'échappaient leurs cheveux bouclés ". Et tout ceci n'était encore rien comparé au fait que leur sein n'était qu'à moitié couvert, le tout ressemblant plus à des habits de nymphes qu'à ceux de religieuses ".

L'AMBASSADEUR DE FROULAY ET LA SŒUR MARIA RIVA

A Venise, comme dans d'autres villes, de nombreuses adolescentes étaient contraintes par leur famille à prendre le voile. Mince consolation, en accord avec les autorités ecclésiastiques, les religieuses pouvaient obtenir l'exemption de certaines tâches imposées par leur ordre et même passer de longues périodes en famille, pouvant alors rencontrer qui elles voulaient, sans provoquer de scandale.
Le président de Brosse, qui séjourna dans la lagune en août 1739, raconte comment il y avait concurrence impitoyable entre les couvents pour donner au nonce apostolique en visite la plus belle des sœurs comme " accompagnatrice ". " Il n'existe pas de lieu au monde où la liberté et la licence ne règnent plus souverainement qu'ici. Ne vous souciez pas du gouvernement et faites ce que vous voulez. Je parle de la chose dont nous tirons notre plaisir et notre origine, la chose par excellence . "
De la " chose par excellence ", l'ambassadeur français auprès de la Sérénissime, le comte de Froulay, devait être fervent consommateur. Les agents secrets au service des Inquisiteurs d'Etat le mettaient en relation avec des entremetteuses qui lui fournissaient sans cesse de nouvelles filles de joie.
Il se mit à fréquenter le couvent de San Lorenzo. On lui organisait des rencontres, qui certainement n'avaient rien de mystique avec trois bénédictines, lesquelles, en expiation de leur péché contre le vœu de chasteté furent privées de sacrement.
Quand il eut, aux grilles du parloir, le coup de foudre pour la sœur Maria Riva, on frisa la rupture des relations diplomatiques entre la France et Venise. Dernière née d'une famille aisée, elle avait été contrainte de prendre le voile par son père, pour préserver l'héritage de sa sœur majeure, les quatre garçons de la famille n'en ayant pas besoin. Gracieuse, de bonne culture, la trentaine, elle avait un caractère ouvert.
Les visites assidues de l'ambassadeur, les sorties nocturnes à deux en gondole, avec un manteau noir descendant jusqu'aux pieds et le visage recouvert de la " bauta ", suscitèrent de nombreux commérages et médisances.
Il l'emmena masquée, déguisée en homme à la houppelande, aux fêtes qui se donnèrent au palais Bragadin à S. Marina pour l'élection de Daniele Bragadin comme procutateur de Saint-Marc et à cette occasion, on découvrit l'intrigue. Les inquisiteurs d'Etat ordonnèrent à la religieuse de ne plus jamais paraître au parloir pour y retrouver Froulay. Malgré cela, la relation amoureuse se poursuivit et ne cessa que quand Maria fut transférée dans un des monastères de Ferrare, d'où peu après, elle s'enfuit avec le colonel Moroni, son nouvel amant, par lequel elle se laissa emmener à Bologne pour contracter mariage avec lui. Le couple fut emprisonné après les plaintes des parents, mais Maria réussit à s'évader et à rejoindre le colonel qui avait fini de purger sa peine, celle-ci ayant été réduite. Finalement pour fuir les persécutions, ils se sauvèrent en Suisse où probablement s'acheva leur existence mouvementée.
Quant à Froulay, durant la période où il resta ambassadeur, il devint presque fou, errant sous la pluie battante vêtu d'un drap d'or, allant sur la place avec son lourd manteau sous la chaleur de l'été, faisant la chasse aux fourmis du potager des bénédictins de S. Giorgio Maggiore.
Le petit peuple disait que c'était un châtiment de Dieu pour le scandale passé.

REVOLTE DES RELIGIEUSES

Dans la première moitié du 17ème siècle, ces religieuses " malmonacate " trouvèrent une voix forte et intelligente pour hurler leurs protestations envers les libertés dont elles étaient privées. La voix de sœur Anna Archangela Tarabotti qui, avec " l'Enfer Monacal ", attaqua les autorités religieuses et politiques, attaqua certaines familles, attaqua la société et le pouvoir des hommes, leur attribuant la responsabilité de mille répressions, de mille mortifications, de mille conditionnements, de mille souffrances que les femmes, religieuses ou non, mariées ou non devaient endurer.
Si, au 16ème siècle, Venise avait été, en ce qui concerne la production littéraire, un des centres de le misogynie italienne, avec le 17ème, elle peut être considérée comme la rampe de lancement de travaux aux intonations féministes.
Des considérations analogues concernant les aspects historiques de la condition féminine se retrouvent dans les aventures de ces nombreuses femmes, à Venise et ailleurs, qui se retrouvèrent accusées de sorcellerie devant les tribunaux du Saint Office.
A Venise, entre 1541 et 1794, comparurent plus de 3500 personnes devant le tribunal de l'Inquisition pour un nombre de procès qui effleurent les 3000.

QUELQUES POESIES POPULAIRES VENITIENNES

Suppliques de filles envers leurs mères pour ne pas entrer au couvent

adre mia no far mi monaca
Che non mi voglio far,
Non mi tagliar la tonica
Che non la voi portar,
Star tutto el zorno
A vespero e a messa
Poi la madre badessa
Non fa se non gridar.
Hor che un bel giovanetto
Mi ha preso del suo amor
Che ho sempre il pizzacuor
Sarei ben pazza
Se venessi a far dieta
E a vespero et a compieta
Cantar a tutte l'hor

Mia madre vol che vada munissela
Per sparagnar la dote a mia sorela,
E mi par obedir la mama mia
Tagio i capelli e munissela sia.
La prima note ch'ò dormito in cela,
O sentio il mio amor a spazzizare;
Vago dabasso per aprir la porta,
Ma la madre badessa se n'è incorta
E la me disse : munissela fia,
Gasto le febre o xestu innamorata ?

Ma mère, ne m'oblige pas à devenir sœur
Parce que je ne le veux pas,Ne me fais couper la tunique
Que je ne veux pas porter,
Ne m'oblige pas à passer la journée entière
A la messe et aux vêpres
Puis à entendre la mère supérieure
Ne rien faire d'autre que crier
Maintenant qu'un beau jeune homme
Vient de me donner son amour
Que mon cœur bat jour et nuit,
Je deviendrais folle
Si je devais faire jeun
Et chanter à toute heure
Les vêpres et les complies.

Ma mère veut que je devienne religieuse
Pour que la dote puisse aller entière à ma sœur.
Et moi, pour obéir à ma mère
J'ai fait couper mes cheveux et suis devenue sœur.
La première nuit que j'ai dormi en cellule,
J'entends mon amant soupirer.
Je descends pour ouvrir la porte
Mais la supérieure s'en aperçoit
Et me dit : mon enfant,
As-tu la fièvre ou es-tu amoureuse ?