L'HISTOIRE DU CARNAVAL
C'est vers l'an 1000 que l'Église catholique, soucieuse
depuis des siècles de donner à Pâques la priorité
absolue pour toute la chrétienté, fixe le calendrier de ses fêtes.
Les clercs qui le rédigent dans les abbayes y disposent les périodes
grasses et maigres selon que la viande est autorisée ou non et y fixent,
CARNAVAL.
Le mot aurait deux origines:
- CARNEM LEVARE: priver de chair (viande) annonçant ainsi le carême
qui débute le mercredi des cendres et sera porté, au VIIIe siècle,
à quarante jours.
- CARNE VALE: la chair prévaut, celle que l'on mange (la viande) et celle
que l'on désire (le corps), signifiant le triomphe de la sensualité
propre au carnaval.
Dans les deux cas, le carnaval est indissociable du carême puisqu'il désigne
la période orgiaque qui le précède. Il atteindra à
Venise les sommets de tous les débordements et, malgré les interdits,
éclatera au XVIIIe siècle dans un "bouquet final" précédant
la chute de la Sérénissime.
Si nous devons à l'Église la place et la durée du carnaval,
les origines de ce dernier sont à rechercher dans le paganisme: fêtes
de la nouvelle année, de la terre, de la fécondité...transmises
en Grèce sous le nom de Bacchanales ( un homme déguisé
en Bacchus, dieu du vin, parcourrait les rue au milieu des chants et des danses),
puis à Rome sous le nom de Lupercales (instaurées par Rémus
et Romulus en l'honneur de la louve qui les avait allaités) et de Saturnales
( sous l'égide du dieu du temps, les Romains festoyaient en inversant
les rôles - les maîtres servent leurs esclaves - et s'adonnaient
à une débauche effrénée).
L'Église, soucieuse de canaliser ces manifestations licencieuses qui
avaient perdu leur sens originel, les rebaptisa (fête des fous, des innocents,
carnaval...) et tenta de leur donner un sens nouveau. Le carnaval était
né.
DE LA NAISSANCE A L'APOGÉE
A Venise, comme dans toute l'Europe médiévale, le carnaval est
la fête "du ventre", de la transgression et de l'inversion.
Fête du ventre: on distribue de la nourriture aux pauvres afin que chacun
fasse ripaille. A une époque où la disettes sont fréquentes,
(Venise réussit cependant à les éviter), le peuple oublie
ses peines et accède, pour un temps, au "Pays de Cocagne" dont
il ne peut que rêver.
Fête de la transgression: si, lors des fêtes païennes on se
moquait des héros et des dieux, au Moyen-Age on prend la religion à
partie. Les religieux eux-mêmes participent aux réjouissances en
se livrant à des simulations de cérémonies et à
des plaisanteries obscènes. On danse dans les couvents; les lieux sacrés,
pivots de la vie sociale, sont transformés en théâtres où
l'on s'amuse aux dépens de tous et de tout. Le pape Innocent III dont
le pontificat marque au XIIIe siècle l'apogée de la papauté
promulgue une bulle pour bannir les spectacles des églises et interdire
aux religieux de participer aux fêtes. En vain... La fête continue.
Fête de l'inversion: les rapports hiérarchiques s'inversent. Le
valet est servi par son maître; le pauvre côtoie les puissants et
peut se permettre de les ridiculiser, voire de les bafouer, le sous-diacre prend
la place des dignitaires. L'homme se déguise en femme, le jeune en vieux
et réciproquement.
Le carnaval qui permet à l'homme "d'inverser" se qui le fige
dans son histoire - le sexe - l'âge - le statut, de transgresser les interdits
et de s'adonner aux plaisirs, se distingue de la fête officielle au rituel
codé. Il s'en démarque par l'usage des déguisements et
des masques. Il n'y aurait pas eu de masques lors des premières fêtes
vénitiennes. Un texte de 1268 autorise le port du masque pendant le carnaval
et aussi pendant une période de six mois de l'année. Les Vénitiens
prendront l'habitude de sortir masqués.
Pendant des siècles le carnaval contribue à la stabilité
de Venise. Il en précipitera la chute. Venise rayonne mais n'est plus
une grande famille. Au lieu de se mettre à son service, chacun veut profiter
de sa richesse et des plaisirs qu'elle procure. Le carnaval dure de plus en
plus longtemps. Plus ces jours ces multiplient, plus ceux de la "civilisation
vénitienne" sont comptés. Plus les Vénitiens s'enrichissent,
plus Venise s'appauvrit... et plus le carnaval fait rage.
Venise reste la ville des fêtes et des plaisirs. Tandis que son influence
politique diminue, elle jette ses derniers feux.
Le carnaval est la grande attraction qui commence en Octobre. Il dure six mois
de l'année et triomphe dans les bals masqués, les prouesses pyrotechniques.
On y vient de toute l'Europe jouir des plaisirs les plus divers, les plus troubles
et tous y gagnent: aubergistes, restaurateurs, gondoliers, fabricants de masques...