CASANOVA ET M.M.

 

De Bernis, ambassadeur de France à Venise avait pour amante, depuis un an, M.M,. sœur du couvent de Santa Maria degli Angeli à Murano. Bien que religieuse, elle pouvait sortir le soir, masquée, en cachette. Ce fut elle qui exprima le souhait de rencontrer Casanova qu'elle avait entrevu dans l'église du couvent où celui-ci allait pour se montrer à Caterina Capretta. Cette dernière avait été obligée par ses parents, de rentrer au couvent parce qu'enceinte de Giacomo Casanova. Les deux amants cherchaient encore à se voir et c'est de cette singulière façon que commença la relation entre Casanova et M.M. Leurs rencontres avaient lieu dans un des casinos de Venise ou de Murano. Il arrivait même que le rendez-vous soit fixé dans le casino privé de de Bernis qui y avait fait aménagé dans une cloison un œilleton de manière à pouvoir assister de la chambre voisine.

 

Dans ses Mémoires (écrites en français), Casanova consacre de nombreuses pages à son aventure avec la religieuse.
A propos d'un de ses premiers rendez-vous, il écrit :
-Je sors en religieuse, me dit-elle, mais j'ai là une garde robe complète pour me transformer en femme du monde et même pour me masquer.
-J'espère que vous me ferez le plaisir de rester en religieuse, j'aime tant à vous voir dans ce costume…
Le soir, à l'heure convenue, je me rendis au rendez-vous…Elle me parut d'une beauté tout à fait différente que lorsque je l'avais vue en religieuse. Elle était coiffée en cheveux avec un superbe chignon…Je me jetais à ses genoux pour lui témoigner ma vive reconnaissance, et je baisais avec transport ses belles mains, en attendant la lutte amoureuse qui devait en être l'issue. Mais M.M crut devoir opposer de la résistance. Qu'ils sont charmants ces refus d'une amante amoureuse qui ne retarde l'instant du bonheur que pour mieux en savourer les délices !
…-Mon ami, levons-nous, il est temps que je rentre au couvent.
-Habillez-vous et laissez moi le plaisir de vous voir en habit de sainte, puisque vous partez vierge…
Elle sonne…A près s'être fait coiffer, elle ôta sa robe, enferma ses bijoux dans un secrétaire, mit un corset de religieuse dans lequel elle dissimula ses deux globes superbes qui avaient été pendant cette fatigante nuit les principaux agents de mon bonheur…
D'une de ces nuits où ils s'exposaient aux regards de l'ambassadeur, il note :
Minuit étant sonné, elle se mit à arranger le sofa, disant que l'alcôve était trop froide et que nous coucherions là. La véritable raison de cet arrangement était de nous mettre en évidence pour satisfaire l'amant curieux.
Pour vous peindre la scène variée que nous jouâmes jusqu'à l'aube du jour, il faudrait épuiser toutes les couleurs de la subtile palette d'Arétin. J'étais ardent et vigoureux mais j'avais affaire à forte partie, et le mati, après le dernier exploit, nous étions positivement épuisés, et à tel point que ma charmante nonne en fut alarmée pour moi. Elle avait en effet vu mon sang jaillir sur son sein pendant la dernière libation. Et comme elle ne soupçonnait pas ce phénomène, elle en fut pâle de frayeur. Je dissipai ses craintes par des folies qui la firent rire de bon cœur. Je lavai sa superbe gorge avec de l'eau de rose pour la purifier du sang dont elle avait été teinte pour la première fois de sa vie…Elle s'habilla en religieuse et après m'avoir conjuré de me coucher et de lui écrire avant de retourner à Venise pour lui faire savoir comment je me portais, elle partit…
Je reçus le jour même de mon adorable nonne, la lettre que voici :
" Je t'écris de mon lit mon cher brunet, car il m'est impossible de rester debout, me sentant presque moulue…Tu m'as mis du baume dans le sang en m'apprenant que l'épanchement du tien n'a eu aucune suite facheuse… Mon ami t'aime à la folie et il désire ardemment de faire ta connaissance. Il m'a dit qu'il n'aurait jamais cru, qu'un homme pût fournir la carrière que tu as parcourue sous ses yeux ; mais il prétend qu'en faisant l'amour de cette manière, tu défies la mort ; car il assure que le sang que tu as répandu doit partir de ton cerveau.

Mais qui était cette M.M. que Casanova désigne seulement par ses initiales, précisant simplement qu'elle appartenait à une célèbre famille vénitienne ?
Cela reste un mystère. Plusieurs noms ont été avancés : Marina Morosini, Maria Eleonora Michiel ou peut-être Maria Lorenza Minelli, fille d'Elisabetta Contarini. On sait qu'elle entra au couvent de Santa Maria degli Angeli en 1752, à l'âge de 28 ans.